Alphonse et Solange forment un couple sans histoire ...
A chaque repas de famille toutefois le cousin Gaston la ramène avec ses "prétendues" performances boursières : j'ai acheté à autant , en quinze jours j'ai fait un bénéfice de ... etc,etc...
Cela devint vite insupportable d'autant que le cousin Gaston ne passe pas , dans la vie courante , pour être l'aigle des Carpates !
Agacé , notre ami Alphonse s'en va donc acheter et même lire le journal financier recommandé par le cousin. Il est d'ailleurs préférable de se limiter à la lecture d'un seul magazine car , n'étant jamais d'accord entre eux , la lecture de plusieurs plongerait l'investisseur dans une perplexité plus grande encore ...
Et Alphonse plongé dans ses nouvelles lectures découvre , par hasard , une action notée " à acheter " par les analystes : l'action BRANQUIGNOL , qui se traite vers les 35 € ...
Le nom lui plaît , ce qui est important pour tout investisseur ! Achèteriez vous une action qui aurait comme nom " DUCON " ? Non , n'est ce pas ; et bien lui non plus . Tandis que Branquignol , voilà un nom qui fait sérieux et qui inspire !
Avant d'agir , Alphonse se promet toutefois de demander 250 avis , de lire 2000 articles et , surtout , de vérifier au jour le jour que Branquignol est bien l'action qui monte !
La voilà justement qui passe le cap des 65 € , et Alphonse jubile . Quand le cours atteint 85 € , sans consulter Solange , Alphonse nous fait un coup de sang et donne ordre à son banquier d'acheter 200 actions Branquignol , avec l'argent de son livret ... Il les obtient à 87.50 € !
Ravi de son audace mais terrorisé de sa témérité , Alphonse se confie à Solange et lui fournit mille justificatifs et commentaires . Solange se retire , perplexe , dans sa cuisine !
Les jours qui suivent sont un enfer pour Alphonse . Il consulte fébrilement les cotations douze fois par jour et absorbe toute nouvelle économique d'où qu'elle vienne ...
Le titre continue sa progression jusqu'à atteindre 98 € ce qui sera ( mais on ne le saura que plus tard ... ) un SOMMET !
De ce sommet s'amorça une descente significative . On appelle cela " prises de bénéfices " même pour tous ceux qui , ayant acheté bien trop tard , n'ont aucun bénéfice à prendre , et de toute façon ne les prendraient pas ... Le cours redescend à 82 € .
Solange , qui suit l'opération de très près , commence à faire grise mine et distille des commentaires acerbes sur l'opportunité de l'investissement !
On parle de "repli passager" , de " dégonflement de la bulle " . ( on ne devrait pas mettre tant de savonnée dans la bourse ... il y a toujours des bulles en formation ! ) Ces bulles sont dites " spéculatives " au cas où quelque demeuré croirait encore qu'il y a autre chose dans la bourse que des spéculations !
Et notre pauvre ami suit , triste et impuissant , la dissolution de son patrimoine !
Rien n'y fait !
Promesses de récollections abbatiales , prières et cierges à Sainte Rita , patronne des causes perdues , incantations sataniques , messes noires et fesses molles : RIEN N'Y FAIT !
Le cousin Gaston ( curieusement bien taiseux sur ses performances depuis quelque temps )lance alors cette idée géniale : " il faut MOYENNER " c'est à dire acheter à nouveau , plus bas , de façon à abaisser le prix moyen de l'ensemble .
Cette méthode , connue depuis toujours ( depuis le Moyen Âge sans doute ) est considérée comme un des moyens le plus sûr de conduire l'investisseur particulier à une ruine rapide et durable ! Il serait criminel de ne pas citer içi cette autre sentence , douze milliards de fois entendue , et qui m'insuffle à chaque fois l'envie de projeter d'un solide COUP de BOULE son auteur au sol !
Cette phrase est aussi courte que son contenu est CON :
" PAS VENDU ... PAS PERDU ... ! "
Ceux qui ont acheté en leur temps les précieuses actions ALCATEL , LEERNHOUT & HAUSPIE et très récemment FORTIS ( pour ne parler que de celles là ... ) savent de quoi je parle !
Notre Alphonse donc , conseillé habilement par son cousin , rachète 200 actions Branquignol à 67 € grâce au prêt à taux réduit consenti par son banquier .
Insensible à cet effort l'action continue son calvaire ...
Solange gronde et lance à la tête de son époux les 4 à 5% perdus du livret d'épargne . Alphonse suit avec détresse ( pas avec des tresses , car le malheureux n'a plus assez de cheveux pour cela , à force de se les être arrachés ... ! ) la chute de ses actions fétiches ...
Solange fait la gueule ; elle a eu des gros mots avec Gaston lors de la dernière réunion familiale
( on aurait même entendu " vas te faire foutre , pauvre con ... ?!? '') et elle joue chaque soir à son mari la scène de "l'auberge du cul tourné " ( avec Jean Gabin , grandiose paraît-il dans le rôle de ce dernier ! )
Quant à Gaston , interrogé sans ménagement , il vitupère contre les autorités financières , stygmatise l'inertie des banques centrales ; il admoneste la mollesse des politiciens , menace de reconduire les étrangers à la frontière et s'interroge sur ce que fait la police !
La colère gronde , l'émeute est proche et , un matin , surgissant hirsute et dépoitraillée de sa cuisine , Solange hurla cette phrase terrible :
" ALPHONSE , ÇA SUFFIT , TU VAS ME VENDRE ÇA et TOUT de SUITE !!! "
Cela fut fait à 39 € , un de ses plus bas !
Tout serait terminé si , quelques mois plus tard , dans un climat redevenu plus serein , et lors de la réunion dominicale , notre cousin Gaston n'avait recommencé à se vanter de ...
moralité :
à force de croire au Père Noël
à force de croire au Père Noël
c'est le petit investisseur
qui ramasse toujours les pelles !